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Lutter contre la violence sexuelle et sexiste – défis dans le contexte d’une pandémie mondiale

Décembre 2020

Par Jihane Latrous, Administratrice, violence sexuelle et sexiste, Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

et May Maloney, Conseillère, lutte contre la violence sexuelle, Comité international de la Croix-Rouge


Résumé

La violence sexuelle et sexiste augmente dans l’ombre de la pandémie de COVID-19. Le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) a estimé qu’au cours des 6 premiers mois des mesures de confinement, jusqu’à 31 millions de nouveaux actes de violence sexuelle et sexiste pourraient s’être produits. En tant que Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, nous sommes plus que jamais conscients de la persistance des discriminations et des inégalités et du fait que celles-ci font exposent les femmes, les filles, les garçons, les hommes, ainsi que les minorités sexuelles et de genre, y compris les personnes en situation de handicap, à des risques accrus de subir une violence sexuelle et sexiste en temps de crise. La résolution du Mouvement sur l’action commune en matière de prévention et d’intervention contre ce type de violence, adoptée à la XXXIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en 2015, a souligné combien il est urgent et nécessaire de continuer à traiter cette question. À l’occasion des 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes, les équipes opérationnelles du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Fédération internationale) nous ont indiqué la voie à emprunter.

Histoire

Nous allons parler ici d’une pandémie mondiale, mais pas de celle à laquelle vous pensez. Il s’agit de l’une des principales causes de décès prématuré chez les personnes les plus exposées aux risques, qui exige que les professionnels de la santé y soient spécialement formés et que les experts médico-légaux y soient particulièrement attentifs, et qui a des effets psychologiques et émotionnels immédiats et à long terme, ainsi que des conséquences pouvant conduire à la stigmatisation et au rejet. Pour les économies du monde entier, son coût se chiffre en milliards de dollars.[1]

Nous allons parler ici de la violence sexuelle et sexiste, et de la manière dont la résolution du Mouvement sur l’action commune en matière de prévention et d’intervention, adoptée à la XXIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en 2015, nous exhorte à poursuivre et à accélérer nos activités afin de prévenir cette violence, de l’atténuer et d’y faire face. Cette résolution nous encourage à mettre les besoins et les capacités des personnes victimes et survivantes au cœur de nos interventions. Elle est plus pertinente que jamais, compte tenu de la pandémie de COVID-19 et de ses conséquences indirectes – qui ont un impact évident à la fois sur l’aggravation de la violence sexuelle et sexiste et sur la disponibilité des services de soutien destinés aux personnes survivantes.

Le 25 novembre a marqué la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ainsi que le début des 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes. Le 3 décembre, nous avons également célébré la journée internationale des personnes handicapées. Ces dates nous rappellent la force et la résilience dont font preuve les personnes et les communautés, mais aussi la persistance des discriminations et les risques accrus auxquels les femmes, les filles et les personnes en situation de handicap sont confrontées lorsque des actes de violence sexuelle et sexiste sont perpétrés au sein de leurs communautés. En tant que Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, nous sommes conscients qu’environ une femme sur trois dans le monde sera victime d’abus physique ou sexuel au cours de sa vie, et que les femmes et les filles sont très majoritairement touchées par la violence sexuelle et sexiste dans les situations d’urgence. Toutefois, nous savons aussi que les personnes survivantes de la violence sexuelle et sexiste sont diverses, puisqu’il peut s’agir d’hommes, de garçons, de membres des minorités sexuelles et de genre, et que les facteurs identitaires qui se recoupent peuvent accroître les risques d’en être victime. De plus, nous sommes particulièrement attentifs à la façon dont les situations de catastrophe, les conflits et autres situations de crise peuvent aggraver certains des facteurs structurels et sociaux de la violence sexuelle et sexiste, tels que les inégalités sociales et de genre.

La pandémie de l’ombre – que voyons-nous, que savons-nous ?

Il est désormais clair que la pandémie de COVID-19 a fait apparaître deux tendances contraires en lien avec la violence sexuelle et sexiste – à la fois une tendance à la hausse des risques et de la prévalence, et une tendance à la baisse concernant la portée des organismes (qu’ils soient gouvernementaux ou non gouvernementaux) et leur capacité de fournir des services aux personnes victimes ou survivantes. Nous n’apprenons rien. Les politiques et les rapports de notre Mouvement, ainsi que son expérience du terrain, démontrent que, lorsqu’une crise frappe, les inégalités existantes – telles que celles liées au genre et à la diversité – sont exacerbées.

Dans ce contexte :

Le FNUAP estime qu’au cours des 6 premiers mois des mesures de confinement, 31 millions d’actes de violence sexuelle et sexiste se sont produits.

Le rapport 2020 sur la situation des filles dans le monde publié début octobre par Save the Children montre que 2,5 millions de filles supplémentaires dans le monde risquent d’être contraintes au mariage forcé au cours des cinq prochaines années en raison des effets du COVID-19. Il s’agira de la plus forte augmentation du nombre de mariages d’enfants depuis 25 ans. Un million de filles mineures supplémentaires pourraient tomber enceinte cette année, ce qui mettrait en péril la vie des personnes – les accouchements restant la cause principale de décès chez les 15-19 ans.

Le Comité international de secours a constaté que l’augmentation de la violence sexuelle et sexiste a largement dépassé ses estimations initiales : dans 15 situations de déplacement, il a observé une augmentation de 73 % des violences domestiques, de 51 % des violences sexuelles signalées et de 32 % des mariages d’enfants et des mariages forcés.

Le rapport publié par ActionAid intitulé Survivre au Covid-19 : une réponse menée par les femmes (en anglais) montre que si la violence domestique a « explosé » au niveau mondial, les féminicides augmentent eux aussi dans certaines régions. Certains services ont enregistré une augmentation de 700 % des demandes d’assistance ou de conseil.

Selon ONU Femmes, alors que nous sommes tous confrontés à des défis sans précédent, les femmes subissent en premier lieu les conséquences économiques et sociales du COVID-19.


Les sources de données du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont également révélé de nouveaux actes de violence dans les environnements frappés par les conflits. En outre, le personnel en première ligne et les volontaires des Sociétés nationales font état d’une augmentation des cas de violence conjugale et de mariage d’enfants.

Nous savons aussi que des services sont interrompus en raison d’une présence réduite sur le terrain et d’autres limités. C’est le cas notamment dans les situations où des restrictions de mouvement s’appliquent aux travailleurs humanitaires ou aux organisations communautaires, et où le transfert des ressources financières, humaines et techniques vers la réponse contre le COVID-19 entrave la fourniture de services de santé sexuelle et procréative – créant ainsi une certaine prudence légitime quant à l’accès aux soins cliniques. Il en va de même pour les services de santé mentale, de soutien psychosocial et de logement pour lesquels il est difficile d’obtenir un rendez-vous, compte tenu du nombre limité de consultations journalières, et pour lesquels les consultations par téléphone ou par le biais d’autres technologies pourraient accroitre le risque d’exposition à la violence sexuelle et sexiste dans les cas où la victime est confinée avec l’agresseur.

À ces phénomènes viennent s’ajouter les difficultés rencontrées par les personnes et les communautés touchées par les situations de catastrophe, les conflits, les vacances de pouvoir et l’impunité accrue dans des contextes très fragiles, ainsi que l’absence de priorité accordée à la violence sexuelle et sexiste comme problématique centrale devant être prise en compte dans les plans d’urgence et les budgets nationaux et locaux. Cette situation créée une combinaison toxique, où les signalements d’actes augmentent, notamment par le biais des assistances téléphoniques, et les risques sont accrus du fait des obstacles à l’accès aux services d’aide aux victimes de la violence sexuelle et sexiste. Les composantes du Mouvement, les gouvernements et les acteurs qui luttent contre la violence sexuelle et sexiste aux niveaux mondial et local doivent approfondir la question et en faire une priorité.

Et maintenant, où allons-nous ?

Notre Mouvement est vaste et notre action collective contre la violence sexuelle et sexiste consiste à combattre toutes ses formes révoltantes – que ce soit par des initiatives de diminution des violences conjugales et domestiques ou des efforts de prévention contre le mariage des enfants, les violences sexuelles dans les situations de conflit, tels que le viol et le viol collectif commis par des personnes armées, l’esclavage sexuel et la prostitution forcée, et d’assistance aux victimes. Nous avons la capacité d’intervenir en bien des endroits où il existe des lacunes dans les services de lutte contre la violence sexuelle et sexiste. Nous disposons des compétences nécessaires pour venir en aide aux personnes survivantes et répondre à leurs besoins multiples. Nous savons qu’il est important d’adopter une approche axée sur ces personnes – ce qui consiste à mettre leurs besoins au cœur de nos activités – et de collaborer avec d’autres acteurs et d’œuvrer avec des équipes multidisciplinaires afin de garantir un accès non discriminatoire aux services de soutien, qu’ils soient fournis par nos soins ou ceux d’une autre entité.

L’action collective est en marche, elle est inspirante, mais nous devons faire encore davantage pour lutter contre les effets du COVID-19. Il nous faut inverser la tendance et préserver les progrès accomplis. La résolution de la Conférence internationale reste aussi pertinente aujourd’hui que lors de son adoption en 2015, et nous devons poursuivre nos activités afin de garantir la réalisation complète et durable de cet engagement. Cette position a été réaffirmée par l’adoption d’un engagement à l’occasion de la XXXIIIe Conférence internationale en 2019, qui appelle à mener une action renforcée concernant cette question essentielle.

Les partenaires des États et du Mouvement peuvent s’attaquer aux causes sous-jacentes, telles que les abus de pouvoir et les inégalités de genre, en vue de prévenir la violence sexuelle et sexiste. Nous devons également nous assurer que notre réponse est adaptée, dotée de ressources et à même de garantir aux personnes survivantes un accès sûr aux soins de santé, aux services de santé mentale, au soutien psychosocial, au logement, aux moyens de subsistance et à la justice. Nous continuerons de veiller à ce que la sécurité, la dignité, l’accès et la participation des femmes, des filles et des autres groupes exposés aux risques soient au cœur de l’ensemble de nos opérations et services.


[1] https://www.unicef.org/media/67346/file/The-material-risks-of-gender-based-violence-in-emergency-settings-2020.pdf (en Anglais)

En savoir plus sur ce sujet:

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