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Mesures antiterroristes et régimes de sanctions et leur impact sur l’action humanitaire

Janvier 2022

Hilde Sagon – ICRC Brussels

Lucie Laplante – IFRC


Face aux actes de terrorisme et à d’autres menaces pour la paix et la sécurité internationales, les organisations internationales et les États ont adopté ces dernières années des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions de plus en plus stricts. Du fait de leur nombre croissant et de leur champ d’application toujours plus vaste, ces mesures et sanctions font obstacle à la mise en œuvre d’une action humanitaire neutre, indépendante et impartiale, et ont gêné en diverses occasions les acteurs humanitaires, notamment les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Mouvement) et leurs partenaires dans la conduite de leurs opérations.

Les mesures antiterroristes et les régimes de sanctions affectent l’action humanitaire de diverses manières. Ils peuvent, par exemple, avoir pour conséquence directe de restreindre la capacité des organisations humanitaires d’importer et d’exporter des articles indispensables à leurs activités. Ils peuvent aussi avoir un effet dissuasif sur les gouvernements et les donateurs, qui sont de plus en plus réticents à financer des activités humanitaires dans les zones visées par des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions spécifiques (comme l’Afghanistan). De plus, de nombreux acteurs privés relevant de leur champ d’application (banques, fournisseurs, assureurs, transporteurs, etc.) choisissent souvent de ne courir aucun risque et d’aller au-delà du respect de leurs obligations, autrement dit adoptent une interprétation stricte et prudente des règles – qui sont souvent difficiles à comprendre et ou à mettre en pratique – pour se protéger de toute infraction potentielle. Toutes ces pratiques aboutissent à une situation dans laquelle on se décharge sur les acteurs humanitaires de tout risque lié à la conduite d’opérations dans des environnements fragiles ou des zones de conflit.

Il importe de trouver d’urgence des solutions qui soient conformes aux exigences du droit international humanitaire, tiennent compte des réalités des opérations et permettent une gestion partagée des risques entre les gouvernements, les donateurs et les organisations humanitaires. Les organisations internationales et les États peuvent adopter diverses mesures de protection pour atténuer l’impact des mesures antiterroristes et des sanctions sur une action humanitaire neutre, indépendante et impartiale. La mesure la plus efficace à cet égard reste les « exemptions humanitaires » (appelées aussi « exceptions humanitaires » ou « licences (autorisations) générales » dans certains pays), qui excluent du champ d’application des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions les activités humanitaires conduites par des organisations humanitaires impartiales. 

Récemment, l’approche proactive adoptée par le secteur humanitaire pour réduire les effets néfastes des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions sur les activités humanitaires et y remédier a commencé à porter ses fruits aux niveaux international, régional et national. De plus en plus de parties prenantes tiennent compte de l’impact sur l’action humanitaire des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions qu’elles élaborent et/ou mettent en œuvre. Par exemple, des clauses destinées à la protéger ont été ajoutées aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (par ex. aux résolutions 2462 (du 28 mars 2019), 2582 (du 29 juin 2021) et 2615 (du 22 décembre 2021). Au niveau national, nous avons assisté à une utilisation croissante par les États-Unis des « autorisations générales » dans les principaux contextes humanitaires − qui aboutissent au même résultat que les « exemptions humanitaires ». En ce qui concerne les mesures antiterroristes au niveau régional, la directive de l’UE de mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme prévoit « l’exemption humanitaire », tandis qu’au niveau national, des « exemptions humanitaires » ont été introduites dans la législation antiterroriste de pays tels que le Tchad, les Philippines, l’Australie, la Suisse et le Royaume-Uni.

Les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont souvent pris la tête de l’action de sensibilisation ou se sont jointes aux efforts déployés par d’autres à l’intérieur du secteur humanitaire. Le point de départ qu’adopte le Mouvement lorsqu’il entreprend une telle action, compte tenu de ses Principes fondamentaux (voir par exemple la résolution 4 de la XXVIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de 1995, en particulier les paragraphes 4.F et G du dispositif), consiste à ne pas prendre position sur la légitimité ou la nécessité des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions adoptés par les États ; ces mesures étant de nature politique, le Mouvement doit maintenir son indépendance, son impartialité et sa neutralité face à elles.

Il est arrivé que diverses composantes du Mouvement s’investissent ensemble dans une action de sensibilisation. Cependant, des obstacles demeurent qui empêchent une meilleure coordination générale des efforts de coopération. Il faudrait en effet, pour y arriver, échanger les informations, avoir une compréhension commune des concepts de base et de la terminologie de l’antiterrorisme et des sanctions, mieux comprendre en quoi de telles mesures affectent différentes composantes du Mouvement et savoir comment procéder pour réunir des exemples utiles de cet impact. Une meilleure coopération et des efforts concertés peuvent donner plus de poids aux messages qu’elles adressent aux décideurs et à d’autres intervenants pertinents.

Il reste cependant beaucoup à faire si l’on veut que la lutte contre le terrorisme et les sanctions associées cessent de faire obstacle à la mise en œuvre d’une action humanitaire neutre, indépendante et impartiale comme celle du Mouvement. Gouvernements et donateurs doivent assumer leurs responsabilités et veiller à ce que l’action humanitaire atteigne ceux qui sont en détresse. En tant qu’acteur humanitaire, il nous incombe de défendre les plus démunis.

Objectifs généraux et résultats attendus de l’atelier

Comme les mesures antiterroristes et les régimes de sanctions affectent toutes les composantes du Mouvement et limitent leur capacité à répondre aux besoins des populations en détresse dans les pays où elles travaillent, l’atelier vise à :

– introduire le sujet des mesures antiterroristes et des sanctions et veiller à ce que les difficultés rencontrées par les composantes du Mouvement fassent l’objet d’un minimum de compréhension commune ;   

– mettre en lumière les initiatives de coopération prises par les composantes du Mouvement pour tenter notamment de définir l’approche commune à adopter pour recueillir des exemples de l’impact que les mesures antiterroristes et les sanctions peuvent avoir sur une action humanitaire neutre, indépendante et impartiale comme la nôtre et de parvenir à une compréhension commune des concepts les plus pertinents utilisés dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et des sanctions et d’établir un glossaire terminologique ;

– faire le point sur les démarches entreprises avec succès auprès des autorités pour faire introduire des clauses de protection (surtout des « exemptions humanitaires ») dans les textes relatifs aux mesures antiterroristes et aux sanctions, afin de faire connaître les meilleures pratiques et d’apprendre les uns des autres ;

– réfléchir au caractère approprié d’une déclaration du Mouvement sur les mesures antiterroristes et les sanctions (et en définir si possible les contours). Une telle déclaration, dont le texte serait établi pour la session 2023 du Conseil des Délégués, pourrait encourager le Mouvement à aborder le sujet de manière plus concertée grâce à la définition d’une conception commune et des pistes à suivre pour aller de l’avant.

Principales questions à étudier à l’atelier

1. Vos activités humanitaires ont-elles subi directement les conséquences de mesures antiterroristes et/ou de régimes de sanctions ? Si oui, dans quelle mesure ? Parmi ces mesures et sanctions, lesquelles ont posé le plus de problèmes ? Quelle a été votre réaction à ces problèmes ? Avez-vous engagé un dialogue avec le gouvernement de votre pays sur les problèmes liés à la lutte contre le terrorisme et aux sanctions ?

2. Que faut-il faire pour réduire l’impact des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions ? Avez-vous des exemples de bonnes pratiques à partager ? Selon vous, quelles seraient les mesures d’atténuation les plus appropriées ? Que pensez-vous des clauses relatives à la lutte contre le terrorisme et aux sanctions que font ajouter les donateurs aux contrats de financement, et quel comportement adoptez-vous à leur égard ? Parmi ces exigences, y en a-t-il que vous refuseriez de satisfaire au nom des Principes fondamentaux du Mouvement ?

3. Comment le Mouvement devrait-il s’y prendre pour réduire l’impact négatif que peuvent avoir les mesures antiterroristes et les régimes de sanctions sur l’action humanitaire ? Une approche plus coordonnée vous paraît-elle indiquée ? En quoi consisterait-elle et quel serait le rôle de chacune des composantes du Mouvement dans le cadre d’une telle approche ?

Participation attendue à l’atelier

Pour que les échanges soient animés à cet atelier et pour parvenir autant que possible à une compréhension commune de l’impact des mesures antiterroristes et des régimes de sanctions dans l’ensemble du Mouvement, l’idéal serait que les participants à cette session viennent d’horizons différents ; ils pourraient ainsi échanger leurs points de vue sur les opérations, la collecte de fonds, et les conséquences financières, diplomatiques et juridiques de ces mesures et sanctions. L’idéal voudrait aussi qu’ils consultent auparavant leur Société nationale pour pouvoir rendre compte de ces différents points de vue.

Biographie à l’intention des participants à l’atelier

Résolution 4 de la XXVIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de 1995, en particulier les paragraphes 4.F et G du dispositif. 

Chapitre 5, « Terrorisme, mesures de lutte contre terrorisme et DIH », Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, document établi par le CICR en 2019 et soumis à la XXXIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

Déclarations sur l’Afghanistan

International Committee of the Red Cross calls for humanitarian carve-out in UN Security Council 1988 Afghanistan sanctions regime | ICRC

Robert Mardini: Wellbeing of Afghan people should lie above politics | ICRC

Sources extérieures (dont les vues et positions ne sont pas nécessairement celles de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge)

Emanuela-Chiara Gillard, IHL and the humanitarian impact of counterterrorism measures and sanctions: Unintended ill effects of well-intended measures, Chatham House, September 2021 (https://www.chathamhouse.org/2021/09/ihl-and-humanitarian-impact-counterterrorism-measures-and-sanctions)

Norwegian Refugee Council Toolkit for principled humanitarian action: https://www.nrc.no/shorthand/stories/toolkit-for-principled-humanitarian-action/index.html

Katie King, Naz Modirzadeh, Dustin Lewis, Understanding Humanitarian Exemptions: UN Security Council Sanctions and Principled Humanitarian Action, April 2016: https://dash.harvard.edu/bitstream/handle/1/29998395/Understanding_Humanitarian_Exemptions_April_2016.pdf?sequence=1

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